
Rencontre avec Maud Vinet, Quantum hardware program manager au CEA LETI
[DECODE Quantum] Une émission conçue par Fanny Bouton, Olivier Ezratty, et Richard Menneveux
Dans ce troisième épisode de DECODE QUANTUM, nous recevons Maud Vinet qui pilote au CEA-Leti à Grenoble la filière quantique semi-conducteurs à base de qubits en silicium.
Auparavant, elle était responsable de l’équipe d’intégration des transistors avancés au sein du CEA-Leti, c’est-à-dire imaginer et construire les composants qui ont permis d’appliquer la loi de Moore. Avant, chez IBM dans l’état de New-York, elle était responsable technique de l’équipe multi-entreprises qui a développé la technologie française des transistors FD-SOI de STMicroelectronics.
À l’origine, elle a fait une thèse de Physique de l’Université de Grenoble. Elle est ingénieure de l’Ecole Nationale Supérieure de Physique de Grenoble. Elle a aussi suivi un cours de management de l’innovation au MIT Sloan Business School (Boston) et à l’Institut des Hautes Etude pour la Science et la Technologie.
Enfin, la Légion d’Honneur lui a été décernée le 31 décembre dernier.
Retrouvez l’intégralité de l’interview de Maud Vinet
Comment Maud Vinet veut positionner Grenoble en leader européen du quantique
Dans cet épisode de Decode Quantum, Richard, Fanny et Olivier accueillent Maud, responsable de la filière quantique semi-conducteur au CEA-Leti à Grenoble, pour décrypter les enjeux technologiques, économiques et industriels liés à l’émergence des ordinateurs quantiques.
Grenoble, une Silicon Valley à la française
Maud pilote un programme ambitieux au CEA-Leti, laboratoire grenoblois spécialisé dans la recherche appliquée en microélectronique. Elle revient sur un parcours mêlant ingénierie et recherche fondamentale, marqué par son implication dans la mise au point du FDSOI, une technologie française de transistors à très faible consommation, aujourd’hui utilisée massivement dans l’automobile, l’aérospatial, ou encore la téléphonie mobile.
Cette expérience industrielle est clé pour Maud :
« Nous avons réussi à Grenoble à passer de la recherche fondamentale à des produits utilisés dans des milliards d’appareils dans le monde », explique-t-elle, soulignant la capacité de la région à transformer la recherche en réalité industrielle.
Le quantique silicium : pari technologique majeur
Maud mise désormais sur une nouvelle technologie : le silicium pour développer des ordinateurs quantiques. Comparée aux technologies concurrentes (supraconducteurs, ions piégés, photons), la filière silicium affiche des avantages majeurs : elle peut potentiellement être plus rapide, plus compacte, et moins coûteuse à refroidir.
Cependant, Maud reste réaliste sur les défis à relever :
« Pour le moment, les démonstrations de qubits en silicium se limitent aux laboratoires. La prochaine étape, c’est la mise à l’échelle industrielle, avec toutes les difficultés technologiques et physiques que cela implique ».
Parmi ces difficultés, elle mentionne l’optimisation du taux d’erreur des qubits, encore élevé aujourd’hui (environ 1 %), et la complexité d’intégrer ces composants dans un système opérationnel.
Pourquoi le quantique prend autant de temps ?
Interrogée par Olivier sur les délais très longs de la recherche quantique, Maud rappelle qu’il faut actuellement entre six et neuf mois pour fabriquer et tester chaque génération de composants :
« Chaque cycle de test dure presque un an. Cela explique pourquoi les progrès semblent lents, même s’ils sont considérables. »
Un écosystème grenoblois unique en Europe
Grenoble rassemble toutes les expertises nécessaires, du CEA au CNRS en passant par STMicroelectronics, Soitec et l’Université Grenoble-Alpes. Un récent financement européen de 14 millions d’euros (ERC Synergie), piloté par Maud avec ses collègues Tristan Meunier et Silvano De Franceschi, permet désormais d’accélérer la recherche fondamentale et de valider les premiers prototypes.
« Notre objectif est clair : créer les preuves de concept et déposer des brevets pour favoriser l’émergence d’un acteur industriel français », affirme Maud, qui précise que Grenoble ambitionne de fédérer les forces européennes pour rivaliser face aux géants américains et chinois.
Une stratégie française ambitieuse
Interrogée par Fanny sur le plan quantique français, Maud se montre enthousiaste :
« C’est très bien construit, avec une approche complète : formation, recherche fondamentale, startups et industriels. On sent une véritable volonté politique de réussir. »
Pour Maud, le quantique peut avoir des retombées massives dans des secteurs comme la pharmacie, l’optimisation logistique ou encore la recherche de nouveaux matériaux. Toutefois, elle rappelle que l’ordinateur quantique n’est pas pour demain :
« Il faudra au moins dix ans pour en voir les premiers résultats concrets. »
Ce qu’il faut retenir :
- Grenoble mise sur le silicium pour devenir leader européen du quantique.
- Un écosystème complet et un financement européen de premier plan appuient cette ambition.
- Le chemin reste long, mais les perspectives industrielles et économiques sont prometteuses.