
Comment exploiter la fragilité des licornes pour gagner des parts de marché ?
📩 Pour nous contacter: redaction@frenchweb.fr
Face à la rétraction brutale des startups en hypercroissance, les entreprises autofinancées ou rentables accèdent à une position stratégique inattendue. Leur modèle, longtemps ignoré, devient un avantage compétitif dans un environnement où la stabilité redevient un critère décisif.
Le retournement du marché tech se poursuit. Après une décennie dominée par la logique de la levée de fonds permanente, la conjoncture impose un changement de perspective. Le gel des embauches, les réductions d’effectifs et les pivots produits visibles depuis fin 2022 dans les licornes, principalement américaines, affectent désormais le cœur du marché européen. Pour les startups frugales ou autofinancées, cette fragilité généralisée ouvre un espace stratégique rarement aussi lisible.
« Une structure qui se défocusse, qui réduit ses équipes ou sa gamme, crée une brèche. Si on ne l’exploite pas, d’autres le feront », explique Jean-Louis Bénard, CEO de Sociabble.
La fin du mythe de l’invincibilité des licornes
Les annonces de licenciements en chaîne ont modifié la perception que les clients et les talents ont de ces entreprises. Le site Layoffs.fyi recense plus de 300 000 suppressions de postes dans la tech américaine depuis janvier 2023, un chiffre supérieur à celui enregistré pendant toute la crise sanitaire. Des sociétés telles que Stripe, Klarna, ou Bolt, autrefois perçues comme des modèles, ont réduit leur masse salariale de plus de 20 % en quelques semaines.
Ce phénomène a des répercussions directes :
- Des projets gelés du jour au lendemain.
- Des départs massifs dans les équipes Customer Success.
- Une instabilité croissante dans les roadmaps produits.
Dans les appels d’offres, ces éléments ne passent plus inaperçus. Les acheteurs B2B, en particulier dans les secteurs régulés (santé, éducation, services financiers), revalorisent les critères de stabilité, de gouvernance et de pérennité.
« Un acteur bootstrap, qui a traversé plusieurs crises et construit dans la durée, devient une alternative crédible pour un acheteur enterprise », observe Jean-Louis Bénard.
Un repositionnement par les usages, pas par la communication
L’opportunité n’est pas dans le storytelling. Elle est dans la capacité à délivrer. Là où certains concurrents mettent plusieurs mois à réorganiser leur go-to-market, une entreprise stable peut :
- Maintenir son support client sans interruption.
- Assurer une continuité produit sans régression.
- Mobiliser ses équipes sur des comptes stratégiques au lieu de gérer des départs internes.
À court terme, ce différentiel opérationnel pèse plus lourd que n’importe quelle annonce de croissance.
Tactiques d’exécution pour capter les déçus de l’hypercroissance
- Identifier les failles visibles dans l’écosystème concurrent
Cela peut passer par la veille RH (départs en série sur LinkedIn), par des retours terrain des clients en phase de renégociation, ou par l’analyse des cycles de release produits ralentis. - Proposer des programmes de migration ciblés
Création d’un « Switch Plan » : import des données, support renforcé pendant 60 jours, double facturation gratuite ou formation prioritaire. - Renforcer la lisibilité de sa trajectoire produit
Communiquer clairement sur la roadmap à 12 mois, avec une gouvernance produit publique. Rassurer sur la capacité à livrer, pas à innover pour innover. - Déployer des argumentaires spécifiques pour les DSI et les achats
Mettre en avant les ratios économiques, la faible dette, la maîtrise du churn, et le revenu par collaborateur. En période d’arbitrage budgétaire, ces données font la différence. - Soutenir les partenaires désorientés
Certaines licornes fragilisées suspendent leur programme partenaires ou réduisent leur taux de commission. Cela crée un appel d’air pour d’autres acteurs capables d’apporter un cadre stable.
Le facteur humain comme levier stratégique
Une startup autofinancée conserve souvent un lien plus fort avec ses équipes. Le taux de rotation y est plus faible. L’organisation y est moins exposée à des décisions exogènes (fonds, board, M&A). En période de tension, cette cohérence interne se répercute à l’extérieur. Moins de turn-over dans les comptes. Moins de restructuration. Plus de lisibilité pour le client.
« Ce n’est pas le même rapport au cycle économique. Quand tu as bâti ton équipe dans la durée, tu ne prends pas la décision de couper rapidement. » souligne Jean-Louis Bénard.
Cette fidélité n’est pas romantique. Elle est économique. Le coût de remplacement, la perte d’expertise, la reformation des équipes : autant de freins à la fluidité commerciale que les clients perçoivent directement.
Concurrence réduite, dumping en repli
Le ralentissement actuel limite la capacité de certaines startups à maintenir des prix artificiellement bas. Ce retrait partiel du pricing toxique (remises excessives, déploiements gratuits, offres à perte) assainit le marché.
« Le dumping systématique n’est plus tenable. Les fonds exigent des perspectives de rentabilité. Cela se traduit par des hausses tarifaires ou des réductions d’offre », analyse Jean-Louis Bénard.
Pour les startups qui ont construit leur modèle sur un prix juste, cela nivelle temporairement les conditions de concurrence. C’est un moment rare.
Une fenêtre d’opportunité, mais pas un effet de cycle garanti
Cette séquence ne garantit pas un basculement durable. Certaines licornes sauront se redéployer. D’autres seront remplacées par de nouvelles. Mais dans cette parenthèse stratégique, les startups sobres disposent d’un avantage réel. Moins visible, mais décisif.
Encore faut-il qu’elles acceptent d’agir comme des conquérantes, pas uniquement comme des alternatives. Non pas en adoptant les codes de l’hypercroissance, mais en affirmant la pertinence d’un modèle fondé sur la qualité de l’exécution, la robustesse de la structure, et la fidélité aux clients.
« Ce n’est pas une revanche. C’est une opportunité. Et elle ne se représentera peut-être pas tout de suite », conclut Jean-Louis Bénard.
- Vivatech : Nvidia structure l’Europe de l’IA, Emmanuel Macron verrouille le narratif souverain - 12/06/2025
- Wandercraft : l’exosquelette français qui entre dans l’ère industrielle avec une levée de 75 millions de dollars - 12/06/2025
- Quantique de défense : “On est au début d’un basculement stratégique”, selon Sébastien Lecornu - 11/06/2025